J’ai vu ma naissance phygitale commencer probablement dans les années 1994, avec la création des premiers cookies. J’ai vu ce simple clic que j’ai effectué sur une page web être enregistré puis exploité pour me « faciliter la vie d’internaute ».
J’ai vu ma croissance accompagnée par
des algorithmes simples, qui ont commencé à me proposer plusieurs chemins que je pouvais suivre ou non pour assouvir mes besoins.
J’ai vu, à mesure que je grandissais, mes clics nourrir les algorithmes pour les aider à grandir et à me comprendre.
J’ai vu mon père m’acheter mon premier CD de musique techno, « The First Rebirth », en 1994.
J’ai vu ma curiosité s’éveiller et j’ai continué de grandir, de cliquer par ici, cliquer par là.
J’ai vu la création de mon compte Facebook en 2007, nous étions entrés dans le Web 2.0.
J’ai vu un ami m’interpeller me demandant pourquoi j’avais cliqué sur le « Like » d’une de ses amies.
J’ai vu cette foule de gens se prendre en photo pour réaliser un selfie afin de le partager au monde entier et récolter la récompense du nombre de « likes ».
J’ai vu ces gens s’arrêter de vivre un instant pour privilégier une amélioration de leur profil Facebook, une amélioration de leur vie digitale. J’ai vu ces gens encore plus heureux dans leurs bureaux par le nombre de « likes » reçus sur leurs photos de vacances ou pleurer et se suicider pour le contraire.
J’ai vu toutes ces personnes,
nuques baissées, marchant dans la rue, en sachant exactement où aller et comment se déplacer pour gagner du temps.
J’ai vu ces gens heureux du bien que procurait un bain d’écran lumineux, hypnotique.
J’ai vu les algorithmes progresser, se nourrissant de nos clics, de nos informations, en échange d’une vie optimisée, sans anicroches, sans problèmes de choix.
J’ai vu ces personnes discuter au café de l’incroyable, disant : « J’ai pensé à quelque chose et c’est apparu sur Internet, comme si j’étais écouté en permanence. »
J’ai vu ces voyageurs avec le sourire, à la queue leu leu, emprunter des routes de campagne en voiture, en coupant par les champs de boue, pour gagner deux minutes.
J’ai vu, en 2023, à la création de mon compte YouTube Music sa proposition d’écouter comme premier titre, « The First Rebirth », un morceau que j’avais complètement oublié depuis 30 ans.
J’ai vu que l’incroyable ne soulevait plus d’interrogation, tant l’évidence était devenue une partie intégrante de notre réalité quotidienne, « comme dans Matrix ».
J’ai vu mon inquiétude grandir quand j’ai demandé à ChatGPT de m’écrire le texte que vous lisez.
J’ai vu que vous aurez été trois à lire ce texte, car il n’intéresse pas l’algorithme et ne vous procurera aucun sourire.
J’ai vu que demain, je ne demanderai plus à mon ChatGPT personnalisé de m’écrire ce texte, car il l’aura déjà écrit et publié avant même que je le lui demande.
J’ai vu que je souris en regardant le lisse de ma vie
J’ai vu que je suis devenu un être phygital., malgré moi.